La transparence des salaires : une obligation légale d'ici 2026
La transparence salariale fait encore rarement partie de la culture d'entreprise, voire reste un sujet tabou. Si un certain nombre de sociétés s'interrogeaient encore sur son application, tandis que d'autres la refusaient fermement, la question ne se posera bientôt plus. En effet, l'Union européenne a adopté en 2023 une directive imposant la transparence des salaires[1], laquelle devra être transposée dans le droit des pays membres d'ici juin 2026. En quoi consistent exactement les nouvelles règles ? Quels sont leurs objectifs ? Comment mettre en place la transparence des salaires ? Réponses.
Qu'est-ce que la transparence des salaires ?
Le besoin de transparence des salaires trouve son origine dans les discriminations dont certaines femmes notamment sont encore victimes, malgré les différentes lois qui ont déjà été adoptées.
Le cadre législatif
La loi sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes du 23 mars 2006 visait déjà la suppression des écarts de rémunération. Puis, la loi avenir professionnel du 5 septembre 2018 a imposé aux entreprises une obligation de résultats en termes d'égalité salariale, avec la mise en place de l’Index de l’égalité professionnelle femmes-hommes. Elle est suivie par la loi PACTE du 22 mai 2019, qui oblige les entreprises du CAC40 à communiquer les écarts de rémunération existants entre les salariés et leurs dirigeants, soit « le ratio entre la rémunération de chaque dirigeant et la rémunération moyenne et médiane des salariés à temps plein ».
Des écarts de rémunération toujours d'actualité
Malgré ces différentes lois sur l'égalité salariale homme-femme, des discriminations perdurent. Pour expliquer ces écarts de rémunération, on peut citer, entre autres, les stéréotypes sexistes, le fameux plafond de verre, ou encore le manque de partage des responsabilités familiales. De plus, au retour de congé maternité, les femmes étaient souvent pénalisées en matière salariale, leur rémunération ayant stagné. Or, la loi prévoit qu'elles puissent bénéficier des mêmes augmentations que leurs collègues, ce qui induit un effet de rattrapage. Leur évolution de carrière est alors également souvent freinée, un certain nombre d'entre elles préférant alors occuper un temps partiel.
Aujourd'hui encore, dans l'UE, les femmes gagnent en moyenne 13 % de moins que leurs homologues masculins, ce qui engendre, à plus long terme, des conséquences dramatiques sur leur pension de retraite, avec un écart allant jusqu'à environ 30 %. L'égalité des rémunérations entre hommes et femmes passera certainnement par la transparence des salaires, qui permettra d'identifier plus facilement toute discrimination et de résorber les écarts de salaires hommes-femmes.
Une nouvelle directive européenne
Après s'être accordés sur la nécessité de supprimer les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, le Parlement européen et le Conseil ont adopté une directive sur la transparence des rémunérations, le 24 avril 2023. Ainsi, les pays concernés ont trois ans pour transposer ces règles dans leur législation. Voici les principales mesures :
- Les entreprises de l'Union européenne ont l'obligation de rendre accessibles les informations sur la rémunération qu'elles versent aux femmes et aux hommes pour un travail de valeur égale. Elles sont également tenues de communiquer auprès de l'autorité nationale l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes et de prendre des mesures si celui-ci dépasse 5 %.
- Les salariés pourront donc demander à recevoir des informations sur les niveaux de rémunération moyens, en fonction des sexes, pour les catégories de salariés réalisant le même travail ou un travail de même valeur. Ils disposent d'un droit d'accès aux critères utilisés pour « déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération », des critères qui se doivent d'être objectifs et non sexistes.
- Les entreprises qui recrutent devront obligatoirement renseigner les demandeurs d'emploi sur le salaire de départ ou la fourchette de rémunération initiale.
Les entreprises qui ne respecteraient pas ces règles seront sanctionnées.
Quels sont les avantages et les freins à la transparence des salaires ?
En raison des obligations réglementaires, la communication au sein des entreprises va devoir se développer, autour d'un sujet encore trop souvent tabou.
Les principaux freins
Pour des raisons historiques, culturelles ou structurelles, la question du salaire reste encore un sujet souvent tabou, vecteur de jalousies, certains ayant mieux négocié que d'autres, par exemple.
- Des écarts salariaux persistants et d'origine disparate
Hormis la discrimination salariale qui perdure encore entre hommes et femmes, la taille de l'entreprise et sa culture peuvent influencer la façon dont est déterminée la rémunération.Dans une start up, TPE ou PME familiale, le salaire est parfois décidé en fonction des négociations avec le nouveau collaborateur, sans référence à des grilles de salaire formalisées. Cela donne lieu à des écarts de salaire parfois importants, en particulier lorsqu'il s'agit de recruter sur des métiers en tension, ou dans un secteur d'activité comme comme l'IT. Les écarts salariaux existent donc aussi en dehors des discriminations sexistes. En effet, pour un poste de même valeur, une personne peut posséder davantage de compétences et être plus performante. Toutefois, il faut pouvoir justifier les écarts auprès des collaborateurs. Ainsi, la transparence des salaires comporte certains risques pour le climat social, si elle n'a pas été préparée en amont.
- L'absence d'une politique de rémunération
Si généralement les grandes entreprises ont mis en place une politique de rémunération structurée, certaines sociétés ne sont pas encore dotées d'un système permettant d'évaluer objectivement un travail de valeur égale et donc sa rémunération. D'où leur crainte de communiquer sur les salaires.
Selon une enquête de wtwco[2] sur la transparence des rémunérations, 50% des entreprises interrogées affirment que leur politique de rémunération actuelle n’est pas prête à être communiquée. Ainsi, seulement 6 entreprises sur 10 ont développé un système de classification des emplois et 54 % une architecture des emplois.
Les avantages de la transparence des salaires
Malgré les contraintes que la directive européenne impose aux entreprises, l'objectif est vertueux et devrait amener davantage de performance et d'équité.
- Des recrutements plus efficaces
Lorsque le salaire n'est pas affiché dans les offres d'emploi, il existe un risque de perdre le candidat pendant le processus de recrutement (déception lors de la découverte du salaire, perte de temps en négociations infructueuses, départ chez un concurrent qui affiche un salaire attractif). En outre, 46 % des candidats déclarent ne pas répondre aux offres d’emploi qui ne mentionnent pas le salaire[3]. Ainsi, sur un marché du travail en tension, la nouvelle obligation d'afficher le niveau de rémunération sur les annonces d'emploi devrait attirer davantage de candidatures et, de fait, des candidats parfaitement informés. Un cabinet de recrutement verra également son travail facilité puisqu'il pourra se concentrer sur l'essentiel, les compétences, et recruter plus rapidement des futurs collaborateurs. Même si cela peut aussi complexifier le travail exploratoire qui est parfois demandé par le client pour aller au-delà du brief initial.
- Un levier d'équité salariale
Selon l'adage « à travail égal salaire égal », la nouvelle législation sur la transparence des salaires a pour objectif de parvenir à une équité salariale, notamment par la suppression des discriminations cachées. Pour prévenir les discriminations salariales, elle incite les entreprises à s'appuyer sur une vraie politique de rémunération, avec classification des emplois et grilles de salaires, ainsi qu'à communiquer de manière transparente. En outre, les femmes ayant tendance à demander un salaire inférieur aux hommes[4], une meilleure information verrait les écarts entre les sexes se réduire.
- Un outil d'aide à la décision
Un autre avantage de la transparence, lorsqu'elle est opérationnelle, est de simplifier les négociations salariales avec les partenaires sociaux. Cela permet d'apporter des réponses argumentées et chiffrées, avant de lancer des campagnes d'augmentations. De plus, lors d'un entretien annuel avec un collaborateur, un manager peut expliquer avec pédagogie sa décision d'accorder ou non une augmentation individuelle et/ou une promotion, en se basant sur des critères objectifs et mesurables. Évidemment cela n'empêchera pas certains collaborateurs de fonctionner par comparaison maladroite et de continuer de se sentir lésé.
- Une fidélisation accrue
Une communication fiable et transparente sur la rémunération est aussi une manière de préserver le capital humain de l'entreprise. Cela instaure une relation de confiance et participe à la reconnaissance, dans la mesure où un salarié est rémunéré à sa juste valeur. La transparence des salaires montre d'emblée aux candidats potentiels l'évolution de carrière possible et permet aux salariés en poste de se projeter à long terme dans l'entreprise.
Comment mettre en place la transparence des salaires ?
Les entreprises concernées disposent d'un délai de trois ans pour parvenir à mettre en œuvre la transparence des salaires, en respectant certaines étapes.
Réaliser un état des lieux de l'existant
Avant toutes choses, il est essentiel d'analyser les causes des écarts de salaires entre hommes et femmes, de recenser les fourchettes de salaires et s'assurer qu'elles sont adaptées, afin d'élaborer un plan d'action efficace. En effet, pour un travail de valeur égale, des disparités existent fréquemment au sein d'une même entreprise. Il est primordial de pouvoir supprimer les inégalités, cachées ou non, ou d'amorcer un rattrapage salarial progressif, le cas échéant, pour préparer la transparence des salaires et la communication auprès des salariés.
Définir une politique de rémunération
La rémunération, à proprement parler, englobe le salaire de base et les accessoires du salaire (primes individuelles et/ou collectives, intéressement, participation, avantages en nature etc.). Différents outils permettent la mise en œuvre d'une politique de rémunération équitable et structurée.
- La convention collective : La plupart du temps, il suffit de se référer à la convention collective de la branche professionnelle pour connaître la classification des emplois. À chaque emploi repère est associé un coefficient ou un indice hiérarchique qui fixe la rémunération minimale conventionnelle.
- La pesée des postes : L'évaluation des postes s'effectue en mesurant pour chaque fonction certains critères tels que l’autonomie et la créativité, la complexité de résolution des problèmes, la responsabilité etc.
- La classification des emplois : La pesée des postes donne un score qui détermine ensuite la classification des emplois, comme, par exemple, cadre de niveau 1 à 3, agent de maîtrise de niveau 1 à 4, employé, ouvrier etc. Cette classification permet de définir l'évolution de carrière prévisible et le niveau de rémunération qui lui sera associé.
- Les grilles de salaires : Elles comportent différents critères tels que la position, le coefficient de salaire, la valeur du point, et le salaire de base fixe minimum. Tous ces critères objectifs permettent également de comprendre les différences de salaires, qui ne seraient pas discriminatoires, et notamment d'expliquer l'écart de salaire entre ce que perçoit un salarié par rapport à l'un de ses collègues sur le même type de poste (ancienneté, catégorie d'emploi, diplômes et niveau d’études).
Enfin, en termes de stratégie, et pour répondre aux obligations de transparence, il est crucial de définir des objectifs SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporellement définis) pour justifier des augmentations individuelles, ou d'une prime liée à la performance individuelle.
Préparer sa communication !
Une fois la politique de rémunération structurée, il est essentiel de former les managers puisque généralement ce sont eux qui transmettent les informations aux salariés. Avec l'appui des documents de référence, les collaborateurs doivent être capables de se situer sur l'échelle des rémunérations, et de se projeter dans leur carrière. Le fait d'être accompagné et informé évite les non-dits et entretient la relation de confiance avec l'employeur. Quant à la communication externe, il est judicieux d'afficher le salaire ou une fourchette de rémunération initiale dans les offres d'emploi, et, en entretien avec les candidats, de communiquer sur les barèmes d'évolution de carrière.
En conclusion, l'instauration de la transparence des salaires marque un changement crucial dans le monde du travail européen. La directive adoptée par l'Union européenne vise à combler les écarts de rémunération persistants entre hommes et femmes en rendant les informations salariales accessibles et en incitant à des politiques de rémunération équitables. Malgré les défis à surmonter, comme la résistance culturelle et l'absence de politiques salariales claires, les avantages potentiels sont significatifs : une meilleure équité salariale, des recrutements plus efficaces et une relation de confiance renforcée avec les employés.
Le droit à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur est inscrit dans la directive 2006/54/CE depuis 2006. Pourtant, l’application de ce principe s’est avérée difficile. Le non-respect de cette directive peut être en partie expliqué par le fait que l’inégalité salariale n’est pas toujours détectée, justement par manque de transparence.
Les principaux objectifs de cette nouvelle proposition sont donc les suivants :
- Renforcer la transparence des systèmes de rémunération ;
- Permettre aux salariés de faire respecter leur droit à l’égalité des salaires grâce à la transparence des rémunérations ;
- Améliorer l’application des droits et obligations en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes ;
- Un accès à l'information facilité
Les employeurs seront tenus de respecter les règles de transparence avec les candidats à l’emploi et avec les salariés déjà en poste. Avant l’entretien d’embauche, ils devront informer les demandeurs d’emploi du salaire de départ ou, à minima, de la fourchette de rémunération. De plus, les employeurs ne seront plus en droit de demander l’historique des rémunérations des candidats.
Concernant les salariés en poste, ils pourront demander à l’employeur des informations sur les niveaux moyens de rémunération, ventilées par sexe, des catégories de salariés effectuant le même travail ou un travail de même valeur. Ils seront également en droit de se renseigner sur les critères retenus pour décider de la progression de la rémunération. Ces derniers devant être non sexistes et basés sur des raisons objectives.
- Une obligation de communication
Les entreprises de plus de 250 salariés devront communiquer à l’autorité nationale compétente l’écart salarial entre les hommes et les femmes, et ce chaque année. Pour ce qui est des entreprises de plus petite taille, cette obligation de communication de l’écart de rémunération devra se faire tous les trois ans. Cette obligation de communication ne concerne pas les organisations de moins de 100 salariés.
- Un accès à la justice simplifié
Avec l’application de cette nouvelle directive, chaque personne concernée par de la discrimination salariale fondée sur le sexe pourra demander une indemnisation, y compris le recouvrement intégral des arriérés de salaire, des primes ou paiements en nature.
De plus, la charge de la preuve dans les affaires de discrimination salariale change de camp. Ce sera désormais à l’employeur de prouver qu’il a respecté les règles européennes en matière d’égalité et de transparence de rémunérations. En cas d’infraction, il est prévu que les sanctions, qui pourront comprendre des amendes, soient effectives, proportionnées et dissuasives.
- Un champ d'application élargi
La mise en œuvre de ces nouvelles règles inclut désormais la discrimination intersectionnelle. Il s’agit de la combinaison de plusieurs motifs de discrimination, tels que le sexe, l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique. Cette directive européenne propose également des règles garantissant la prise en compte des besoins des travailleurs handicapés.
Nous l’avons vu, pour mettre en place la transparence des salaires, il est nécessaire de définir une politique de rémunération. Il existe un grand nombre de stratégies de rémunération différentes. Il y a des approches traditionnelles, liées à l’ancienneté ou au grade par exemple, et des approches plus flexibles, basées sur la performance ou les compétences.
Dans tous les cas, il est essentiel de choisir un modèle personnalisé qui réponde aux objectifs stratégiques de l’entreprise. Pour cela, il est possible d’analyser plusieurs critères comme la convention collective, la situation économique de l’entreprise, etc.
Voici quelques exemples de politiques de rémunération :
- La rémunération fixe et variable : la rémunération est divisée en deux catégories, fixe et variable. La rémunération fixe correspond au salaire de base qui ne change pas, quelles que soient les performances du salarié. La partie variable, quant à elle, varie selon les résultats et est souvent liée à la performance. Elle englobe les primes, les commissions et les bonus.
- La rémunération indirecte : elle comprend tous les avantages en nature et les avantages sociaux. Par exemple : la mutuelle, les tickets-restaurant, les plans d’épargne, etc.
- La rémunération selon l’ancienneté : en basant une politique de rémunération sur l’ancienneté, l’entreprise valorise l’expérience et la fidélité des employés.
- La rémunération selon les compétences : en se basant plutôt sur les compétences, l’entreprise va favoriser l’implication des salariés.
Il est tout à fait possible d’établir une politique de rémunération mixte, se basant à la fois sur l’ancienneté et les compétences. De manière générale, il est possible de combiner plusieurs stratégies de rémunération pour créer un package adapté et attrayant.
Établir une politique de rémunération adaptée, équitable et structurée présente plusieurs avantages :
- Facteur de transparence : chaque employé peut se renseigner librement sur le fonctionnement de la rémunération dans son organisation.
- Favorise l’équité : les mêmes critères sont pris en compte pour tous les salariés.
- Levier pour attirer les talents : structurer une politique de rémunération et communiquer dessus permet d’attirer et de fidéliser les candidats.
- Améliore la marque employeur : un modèle de rémunération attractif fait partie des stratégies pour booster la marque employeur.
- Meilleure gestion financière : la politique de rémunération permet d’anticiper et de contrôler les coûts, notamment à l’embauche.